par Laurianne Chignard
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10 avril 2025
C’est une phrase que j’entends très souvent en consultation : « Il ne mange rien ! », « Elle ne touche à rien à table… » Et je comprends parfaitement l’inquiétude qu’elle sous-entend. Lorsqu’un enfant refuse les repas, picore à peine ou repousse son assiette avec une moue dégoûtée, cela peut être déroutant, frustrant, et même angoissant pour un parent. Pourtant, ce comportement est bien plus fréquent qu’on ne l’imagine… et n’est pas toujours inquiétant. Dans cet article, j’aimerais vous aider à faire le point avec recul, à mieux comprendre ce qui peut se cacher derrière ces refus alimentaires, et vous proposer quelques pistes pour accompagner votre enfant avec bienveillance. La réalité derrière « il ne mange rien » Tout d’abord, je vous invite à observer la situation avec un regard objectif. Est-ce que votre enfant ne mange vraiment rien ? Ou mange-t-il moins que ce que vous espériez, ou que ce que vous considérez comme « normal » ? Les jeunes enfants ont souvent un appétit très variable d’un jour à l’autre, voire d’un repas à l’autre. C’est tout à fait physiologique. Un enfant en bonne santé, qui suit sa courbe de croissance, qui joue, qui dort bien et qui reste globalement tonique… est un enfant qui mange suffisamment pour lui. Même si cela ne correspond pas à nos attentes d’adultes. Des phases naturelles de néophobie alimentaire Vers l’âge de 18 mois à 2 ans, de nombreux enfants traversent une période appelée néophobie alimentaire. Il s’agit d’une réticence à goûter de nouveaux aliments, souvent accompagnée d’un repli sur des aliments connus, parfois très restreints. Ce phénomène est normal et a une fonction protectrice sur le plan évolutif : il empêche l’enfant d’ingérer des aliments potentiellement dangereux alors qu’il devient plus autonome. Cette phase peut durer plusieurs mois, voire quelques années dans certains cas, mais elle finit généralement par s’estomper, surtout si on ne met pas une pression excessive sur l’enfant. Quand l’angoisse de bien faire génère de la tension Je rencontre souvent des parents qui, animés par le souci de bien faire, insistent, négocient, menacent ou récompensent pour que leur enfant mange. Or, ces attitudes peuvent générer une tension autour des repas, que l’enfant perçoit très bien. À force, l’enfant peut associer les repas à un moment désagréable, voire conflictuel, ce qui accentue encore ses refus. Il entre alors dans un cercle vicieux : plus on insiste, plus il refuse. Il est donc essentiel de restaurer un climat serein à table, sans pression. Votre rôle consiste à proposer. Celui de l’enfant est de disposer. Quelques repères utiles pour accompagner votre enfant Je vous encourage à adopter quelques principes simples, qui pourront faire évoluer la situation en douceur : Servez des portions modestes, quitte à resservir s’il en redemande. Une assiette trop remplie peut décourager. Proposez des aliments variés, sans vous focaliser sur ce qu’il mange ou laisse. Évitez de commenter son assiette ou son appétit. Laissez-le maître de ses sensations de faim. Instaurez des repères horaires réguliers pour les repas et collations, sans grignotage entre les deux. Impliquez votre enfant dans la préparation des repas. Cela peut éveiller sa curiosité alimentaire. Et surtout, donnez-lui l’exemple : mangez vous-même avec plaisir et variété. Et si l’inquiétude persiste ? Si vous avez le sentiment que la situation dépasse ce qui vous semble tolérable, si votre enfant perd du poids, montre des signes de carence, ou que les repas deviennent systématiquement sources de conflits, n’hésitez pas à consulter. En tant que diététicienne, je suis là pour vous accompagner dans une approche adaptée, respectueuse du rythme de votre enfant et de votre cadre familial. Je prends toujours le temps d’explorer le contexte global : la croissance, l’environnement des repas, le rythme de vie, les antécédents médicaux, les croyances alimentaires… Car derrière un enfant qui « ne mange rien », il y a souvent une histoire à écouter, et des solutions à co-construire. « Un enfant ne se laisse pas mourir de faim » C’est une phrase que l’on entend régulièrement, parfois pour rassurer, parfois pour dédramatiser. Et il est vrai que, dans la grande majorité des cas, un enfant en bonne santé, sans pathologie associée, finit effectivement par manger ce dont il a besoin si on lui propose un cadre sécurisant et sans pression. Mais attention, cette affirmation peut aussi être source de confusion, voire de danger, si elle est érigée en vérité universelle. Certains enfants, en effet, présentent de vraies difficultés médicales ou développementales qui peuvent impacter leur alimentation de manière profonde. Je pense notamment aux enfants atteints de troubles de l’oralité alimentaire. Ces troubles, souvent méconnus, se traduisent par une hypersensibilité au niveau de la bouche, une difficulté à mâcher ou avaler, une peur du contact avec certains aliments, ou encore un dégoût très marqué pour certaines textures. Dans ces cas-là, non, l’enfant ne mangera pas « quand il aura faim », parce que l’acte de manger en lui-même est associé à un inconfort, voire à une douleur ou une angoisse. Il est donc essentiel de faire la différence entre une phase de néophobie passagère et un trouble plus profond nécessitant un accompagnement pluridisciplinaire. Parmi les signes qui doivent alerter : une perte de poids ou une cassure de la courbe de croissance, des vomissements fréquents, un refus persistant de certaines textures (aliments mous, solides, croquants...), une très grande sélectivité alimentaire depuis la diversification, un rejet du biberon, de la cuillère ou du verre, même après plusieurs tentatives. Dans ce type de situation, il ne faut ni banaliser, ni attendre que « ça passe tout seul ». Un bilan auprès d’un professionnel de santé formé à ces troubles (orthophoniste, ergothérapeute, pédiatre, diététicien spécialisé) est nécessaire pour comprendre l’origine des difficultés et mettre en place un accompagnement adapté.